mercredi 26 février 2014

LiJiang - La Séduction du Tigre


Dans les jardins du palais DaBaoJi
Cela s'impose comme une évidence dès le premier regard, elle a quelque chose d'une tigresse. Est-ce les motifs dansants de son gilet, est-ce son regard perçant, est-ce son maintien qui me disent qu'il n'est plus temps de fuir, car la chasse est déjà finie et je suis mangé. Pâtée pour chat, il ne me reste qu'à me réjouir de nourrir la belle. Et pour qu'elle y plante plus aisément les crocs, comme l'agneau fasciné, je tends encore le cou. Rarement mise à mort, n'eut été plus douce et volontairement consentie.

Accueillante hôtesse, à l'huis de l'institut de broderie NaXi de BaiSha, elle récite son laïus rodé. Chinois, Anglais, Espagnol, Français... une version sera bien comprise par le visiteur.



jeune hôtesse présentant la séparation des fils de soie,
à l'arrière plan exemple d'écriture DongBa
Mais qui est donc cette jeune femme au teint cuivré, au visage rond et aux yeux en amande ? Ses cheveux noirs tirés en arrière sont contraints par un élastique à former une queue de cheval. Elle arbore, par-dessus un jean, le jupon traditionnel blanc avec un large liséré bleu ciel, ainsi qu'un gilet sans manches, en soie rouge tirant sur le bordeaux richement orné de broderies argentées, fermé sur le coté par deux petits nœuds attachés à un large ourlet de velours noir. Deux manchettes à carreaux bleus couvrant les avant-bras protègent encore les manches de son chemisier blanc et terminent l'habit. Ainsi vêtue, elle ressemble une hôtesse d'attraction touristique, ce qu'elle est d'ailleurs partiellement.


La jeune femme nous explique qu'elle est étudiante à l'institut de broderie traditionnelle. En bonne démonstratrice, elle nous montre la petite classe aménagée dans la cour avec au mur des panneaux didactiques. Elle nous explique comment les élèves apprennent à séparer les fils de soie en fils plus fin et plus fin encore. Et comment les maîtres en broderie exécutent leurs magistraux dessins avec ces fils, si fins que la trame qu'ils forment une fois tissés reste invisible à l’œil nu. Sur un métier où traîne un ouvrage inachevé, elle saisit un fil et avec un ongle, long de trois à quatre centimètres et qui a jailli telle la lame d'un cran d'arrêt de son auriculaire gauche, elle entreprend devant nous de séparer ce fil de soie sur toute sa longueur. D'un geste expert l'ongle sépare le fil en deux puis encore en deux jusqu'à ce qu'il soit si fin qu'il disparaisse à nos yeux. Et j'imagine quels ravages terribles ce stylet ferait dans une chair tendre.


Sous le costume folklorique, on trouve une vraie jeune femme NaXi née l'année du tigre, ça tombe bien. Les NaXi sont une ethnie spécifique de cette région du monde qui se caractérise par sa langue sino-tibétaine, mais surtout par son écriture singulière faite de phonèmes et de pictogrammes.


L'écriture est un enjeu majeur en Chine depuis Qin le premier empereur en 221 acn. Le système des idéogrammes a permis très tôt d'unifier le vaste territoire chinois indépendamment des langues parlées localement. Ainsi, un même idéogramme peut être prononcé différemment tout en gardant le même sens . Cette caractéristique est très importante dans un territoire qui compte une dizaine de langues différentes et une cinquantaine de dialectes reconnus. (http://www.chine-informations.com/guide/langues-chinoises-les-langues-parlees-en-chine_1334.html) Grâce à ce coté pratique, mais aussi parce que toute la communication officielle a toujours recouru au système idéographique classique ou simplifié et enfin parce que très tôt l'empereur installa le système unifié des examens impériaux pour l’accession aux charges mandarinales, l'écriture chinoise telle que nous la connaissons s'est imposée dans tout le territoire chinois indépendamment des langues et des dialectes locaux. À l’exception notoire du peuple NaXi qui gardera l'écriture DongBa comme écriture sacrée, permettant à cette forme de graphie de subsister jusqu’à nos jours.


L'autre grande caractéristique des NaXis se trouve dans l'organisation de ses structures familiales. On considère aujourd'hui les NaXis et le sous-groupe MuSo comme les seuls représentants connus de société ayant adopté un système matrilinéaire et matriarcal. L'aspect le plus connu, quoique de plus en plus anecdotique, ce sont les relations de couple non marié.


Traditionnellement, les femmes sont attachées à la propriété terrienne, les hommes eux vont de vallée en vallée en fonction du commerce et du travail disponible dans la montagne. Peut-être à cause de cette mobilité différenciée, le mariage ne s'est pas installé dans cette société traditionnelle. Les femmes restent libres et peuvent avoir différents partenaires durant leur vie. Les hommes, eux, n'ont pas de lien de paternité avec leur progéniture. Cela a pour conséquence majeure l’établissement de relation avunculaire pour l'éducation des juvéniles. C'est l’oncle maternel qui sert alors de père de substitution pour les enfants. Secondement, la propriété terrienne et l'autorité familiale se partagent entre frère et sœur. Seuls les enfants de la sœur hériteront du patrimoine à la mort de celle-ci. C'est évidemment un exemple remarquable et fascinant d'une organisation sociale qui a mis l'accent sur l'autorité et la liberté des femmes. Toutefois, ce n'est pas une société sans contraintes, bien au contraire, la vie sur les contre-forts de l’Himalaya n'est pas facile. Les femmes sont responsables de la maison, de la ferme, mais aussi des cultures et à cause de la mobilité des hommes celles-ci sont souvent seules pour assumer ces responsabilités. Évidemment aujourd'hui cette organisation sociale est appelée à changer. La multiplication des contacts avec les autres groupes socio-culturels de Chine, via le commerce entre autres, contraints petit à petit à une évolution de ces rapports sociaux spécifiques. La culture NaXi fait vraiment figure d’exception dans une Chine qui est restée très patriarcale.


C'était BaiSha, le premier village NaXi depuis LiJiang en remontant vers la montagne du Dragon de Jade. Avant cela nous avons croisé SuShe juste à la sortie de la ville. Rénové à grands frais, ce village est destiné à devenir la vitrine officielle « vivante » de la culture Naxi entièrement dédiée au tourisme. Mais c'est à BaiSha que l'on trouve et une ouverture vers le tourisme et une certaine authenticité. Il est difficile del’imaginer, mais jadis ce bourg était une capitale NaXi. Mais de ce passé il ne reste quasiment plus de trace, seules quelques façades laissent à penser que l'endroit ait pu connaître une certaine prospérité. Et puis il y a le palais DaBaoJi avec ses splendides fresques du XVe.

Entrée du palais DaBaoJi

Qu'il serait doux de rester encore un peu dans cette vallée au pied de la montagne . Plus loin, un peu à l'écart de la route principale, perdu parmi les pins alors que la pente face au levant commence doucement à accentuer son inclinaison pour rejoindre celles escarpées de la montagne, on peut découvrir le discret temple de YuHu. Des boutiques le long du chemin menant à l'entrée attendent le chaland et le dévot avec leurs articles issus de l'artisanat local et tout le nécessaire pour les offrandes. On peut y trouver de la fausse monnaie à brûler, des bâtons d'encens plus ou moins gros et un large choix de chiffons colorés marqué de prière à suspendre.

Deux moinillons jouent au ballon devant l'entrée du temple YuHu

Je n'ai jamais été particulièrement sensible aux charmes monastiques, mais il règne ici une certaine atmosphère à la fois paisible et pleine de recueillement qui contraste tellement avec l'agitation d'autres grands temples comme à XiaMen par exemple (voir : http://pierrecapoue-chine2012.blogspot.be/2013/04/dans-les-petites-rues-de-xiamen-apres.html ) Nous approchons de la fin du mois d'octobre, les visiteurs ne se bousculent pas dans les jardins. YuFeng Si, le vieux camélia de 600 ans n'exhibe encore que ses boutons, il ne fleurira qu'a la mi-novembre. D'ici là, le personnel du temple s'affaire à réparer les outrages de la saison estivale.

On repeind les panneau d'information dans les jardins du temple YuHu

Sur les traces d'Alexandra David-Néel et de Joseph FC Rock, il est facile de voir ici un avant goût de paradis perdus, les portes de ShangRiLiLa. Fermé au nord par les Monts du Dragon de Jade, la vallée s'étire sud-sud-ouest sur le 190 pour s'ouvrir largement sur le sud. Malgré l'altitude (plus de 2,500 mètre), le climat de la région profite de courants chauds et humides qui remontent depuis le golfe du Tonkin en mer de Chine méridionale par une succession de vallées le long de la cordillère annamitique en suivant le bassin du fleuve Rouge (Yuán Jiāng).

Chapelle bouddhique à l'entrée du temple YuHu

Plus bas dans la vallée des petits hameaux se succèdent en chapelet jusqu'à LiJiang. On peut y visiter la maison de l'explorateur Joseph Rock qui de 1922 à 1949 fit la première de transposition en alphabet latin des anciennes écritures DongBa.


Enfin, ce soir nous quitterons LiJiang par le bus pour nous rendre à Dali et ça ce sera aussi toute une aventure...

Pour voir tout l'album sur les Naxis : https://plus.google.com/u/0/photos/101460525071841597040/albums/5982566572161607025

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